Fantasy & féminismes : aux intersections du/des genre(s)
Publié chez ActuSF sous la direction de Marie-Luce Bougon, Marion Gingras-Gagné et Pascale Laplante-Dubé, Fantasy & Féminismes est un ouvrage regroupant des articles académiques d’auteurices de France et du Québec et quelques nouvelles inédites autour des questions sur le féminisme et les genres dans le domaine de la fantasy. Parlant de deux sujets qui m’intéressent tout particulièrement, l’imaginaire et le féminisme, c’est un recueil que j’avais très envie de découvrir. Et voici ce que j’en ai pensé…
Cet ouvrage est découpé en trois parties. La première s’intéresse, sous divers axes, à la reprise et au déplacement des canons narratifs et représentations. Elle débute avec l’article très intéressant de Pascale Laplante-Dubé qui explore le détournement de la quête, plus précisément celle de la quête féminine avec une étude de la saga A memoir by Lady Trent de Marie Brennan. Une entrée en matière un peu ardue mais néanmoins réussie même sans avoir connaissance du texte étudié. On aimerait cependant approfondir la réflexion avec d’autres références.
Nous avons ensuite une nouvelle très réussie de Geneviève Blouin. Les Gardiennes propose l’histoire de 3 femmes qui mènent leur propre quête pendant que les hommes sont partis, soit à la guerre, soit faire les héros à la recherche d’une bête sauvage. Une histoire très réussie qui explore magnifiquement la sororité et trois représentations emblématiques de la femme en fantasy (la vieille, la jeune et la sorcière) pour mieux se les approprier. Parfaitement en accord avec le propos qui la précède, la nouvelle nous montre la possibilité de repenser la quête d’un point de vue féminin sans même qu’il soit besoin d’ancrer ses personnages dans un univers matriarcal.
La première partie se poursuit avec d’autres analyses. Celle de Manon Berthier se penche sur les réinterprèterions de Cendrillon, et plus largement des contes, hors du carcan hétéronormatif habituel pour offrir d’autres rôles féminins. Intéressant, surtout quand on a beaucoup étudié la figure de la femme dans les contes.
Cyrille Ballaguy et Élise Wolf Ballaguy explorent ensuite la figure de la sorcière Circé sous le regard de Madeline Miller qui offre une version female gaze de son histoire. J’ai trouvé cette analyse encore une fois passionnante, dans sa comparaison aux versions originales, et je crève d’envie de lire le roman maintenant!
Claire Duvivier ouvre ensuite une piste de réflexions sur les archétypes et sa volonté de trouver de nouveaux modèles féminins qui ne soient pas uniquement calqués sur les archétypes masculins. Un peu court mais l’article ouvre tout de même de belles réflexions.
La premier partie s’achève sur un article de Yannick Le Pape qui explore les archétypes dans la peinture victorienne et son lien avec l’émancipation féminine. Une étude pointue qui manque peut-être un peu d’illustrations graphiques (ou de qualité des images) mais qui reste intéressante puisqu’elle parle illustration et inspirations en sus du parallèle entre histoire de l’art et lutte pour les droits des femmes.
« Plutôt que d’étudier les représentations et réappropriations sexistes en fantasy, ce qui a d’ailleurs fait l’objet de nombreux travaux, notre ouvrage fait place aux productions de fantasy qui ne se livrent pas à des considérations normatives habituelles, ou qui les remettent en question en exploitant les possibilités de l’imaginaire.»
La seconde partie de l’essai s’intéresse à un sujet tout autant passionnant, à savoir la diversité interprétative et mes appropriations des œuvres par le fandom. Laura Iseut Lafrance St-Martin ouvre le bal avec un article très réussi sur la diversité interprétative de Tolkien et l’opposition des communautés qui le jugent soit reac, soit progressiste et féministe. C’est intelligent, très enrichissant et se poursuit très bien par les paroles qu’à eu Morgan Of Glencoe lors de la Battle de Ouest Hurlant 2023 qui, je l’espère, arrivera en ligne. L’article explique aussi magnifiquement l’importance de comprendre les processus d’interprétations et la volonté de Tolkien de ne pas créer d’allégories. C’est l’article qui m’a le plus intéressé dans le recueil.
Une courte nouvelle d’Elisabeth Vonarburg, Le langage des fées, vient ponctuer l’entre-deux textes par un souffle de poésie qui est sujet à multiples lectures. Un monde incertain, des contours flous, des créatures indéfinies, c’est déroutant mais très beau.
La seconde partie s’achève sur une étude des fanfictions Harry Potter par Coralie Leboeuf. Elle explore les réinterprétations des fans sur les genres et relations mais aussi les limites de ces productions. Intéressant mais difficile de résumer une telle production à une étude sur une vingtaine de titres.
« La compréhension des processus d’interprétation, de l’endroit d’où proviennent les idées, est le premier pas vers une déconstruction de l’intolérance.»
La dernière partie de l’essai se concentre sur 3 tropes: matriarcat, maternité et magie. Elle débute sur la nouvelle Minuit à la tour du dragon d’Alex Evans qui propose, en effet, de revisiter ces tropes avec une histoire d’abord envoûtante puis rapidement déstabilisante. Je reste en effet dubitative sur son final brusque et immense à la fois.
André-Philippe Lapointe se base ensuite sur la société matriarcale et guerrière des Adem chez Rothfuss pour étudier non seulement cette société, la non-binarité des archétypes féminins utilisés mais aussi ses limites de basculement des représentations et le male gaze de la narration. C’est intéressant bien que limité car concentré sur une œuvre.
Nous avons ensuite une nouvelle de Charlotte Bousquet intitulée Azr’Khila. Envoûtante et terrible, elle nous amène aux côtés d’une vieille femme et de sa chèvre, seules rescapées d’un village attaqué où mort, désolations et captures ont emporté tout le monde. Un récit d’une marche funèbre magnifiquement contée qui contrebalance nos habitudes dans un rendu poignant.
La troisième partie se poursuit sur une étude des nouvelles représentations de la sexualité féminine dans les séries fantasy ado par Charlotte Duranton qui s’appuie sur l’exemple des Nouvelles aventures de Sabrina. Une belle ouverture vers les possibilités qu’offre l’imaginaire et ici la série pour explorer la sexualité féminine et queer.
Dernière nouvelle de fiction du recueil, Pour Juliette d’Heloïse Côté ne peut pas laisser indifférent. Glaçant récit post-apo qui parle de maternité et de tout ce que des parents peuvent faire pour leur enfant, c’est un texte glauque et marquant qui s’amuse lui aussi avec les codes. C’est un texte qui laisse un sentiment fort.
Enfin, Cassandra Simon conclut l’ouvrage avec une réflexion sur le surnaturel féminin en interrogeant les concepts de pouvoir, de magie et de maternité. Elle explore brillamment ces questions sous les exemples de La passe-miroir et des Ilusions de Sav-Loar. Une analyse passionnante sur le lien entre magie et pouvoir mais aussi sur celui de la maternité et du rejet des normes sociales.
« Cette quête de nouveaux possibles stimulée par la magie dessine tranquillement le portrait d’un féminin autre dont la libération pourrait bien aboutir au bouleversement du monde.»
L’ensemble est donc plutôt réussi. L’apport de nouvelles de fiction non mentionnées dans le résumé a été une belle surprise, d’autant qu’elle sont de qualité et apportent un éclairage autre aux thématiques abordées, mettant directement en « pratique » les réflexions. Le format du recueil, regroupant des textes certes autour de thématiques mais assez distincts dans le propos comme dans les œuvres analysées, ne facilite pas vraiment la fluidité de lecture mais offre un beau panel de réflexions. Je regrette tout de même que les articles académiques soient, pour beaucoup, centrés sur l’étude d’une seul œuvre de fantasy, limitant un peu l’analyse. Mais chaque texte apporte une belle richesse et une pierre de plus à l’édifice d’un imaginaire plus inclusif. Et c’est déjà beaucoup. On ressort de cette lecture avec le cerveau en ébullition, l’envie de lire beaucoup de romans ou de regarder des séries citées mais aussi un regard plus analytique sur les productions de fantasy modernes.
En bref, Fantasy & féminismes est un recueil passionnant et foisonnant qui explore les œuvres de fantasy qui se réapproprient ou changent un peu les codes pour un imaginaire plus inclusif et plus féministe. Regroupant des articles très intéressants, bien que parfois un peu ardus ou trop centrés sur l’analyse d’une seule œuvre, et des nouvelles de fiction inédites qui viennent appuyer les propos, c’est un ouvrage riche et réussi.
« Par la création qu’elle permet de mondes secondaires alternatifs et par ses codes génériques sujets à la réappropriation, la fantasy est un genre de l’imaginaire dont les potentialités sont illimitées, et qui offre la possibilité d’interroger les systèmes normatifs en place. Ce n’est donc pas un hasard si elle a été investie, au fil des décennies, par des discours issus de divers courants féministes et queer.
Que se produit-il lorsque la fantasy rencontre ces perspectives ? Comment peuvent-elles éclairer les œuvres (livres, nouvelles, séries télévisuelles), mais aussi les phénomènes faniques et militants qui les entourent ? Comment aborder la fantasy (l’analyser, mais aussi l’écrire) en s’intéressant aux dynamiques genrées, sexuelles, sexuées, ainsi qu’aux savoirs féminins et aux cultures des marges ? »
(Illustration de couverture : Élise Warren)
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