Tè Mawon

Coup de coeur 2022 des Imaginales, Michael Roch a publié cette année le premier roman d’afrofuturisme caribéen francophone avec Tè Mawon publié aux éditions La Volte. Roman choral cyberpunk, Tè Mawon est un roman révolutionnaire qui propose une mégalopole caribéenne étonnante. Voici ce que j’en ai pensé…

« Nous avons la puissante rage de l’espoir. »

Un roman nécessaire

Voilà un roman important. Important parce qu’il (ap)porte d’autres voix, un autre point de vue et d’autres références à la science-fiction francophone. Important parce qu’il se fait voix d’une pluralité de cultures et propose d’autres futurs qui s’éloignent de l’histoire coloniale et émancipent les peuples trop longtemps oubliés de l’imaginaire. Michael Roch propose ici une œuvre afrofuturiste caribéenne qui met en scène la mégalopole de Lanvil, lieu de diversalité, cyberpunk et soit disant utopique où règne pourtant des inégalités vis-à-vis des peuples d’anba Lanvil. Souffle alors un vent de révolte, grandissant de pages en pages, mêlé à plusieurs quêtes individuelles et collectives qui se construisent dans un roman choral un brin difficile d’accès. Difficile parfois par l’emploi très présent de créole(s?), y compris sur des néologismes futuristes, ce qui peut déstabiliser quand on a pas les clés, bien que le contexte reste clair et l’intention lisible. Il convient de ne pas bloquer sur chaque obstacle langagier, de ne pas forcer la traduction mais bien de favoriser la compréhension et l’intégration. Cette démarche trouve d’ailleurs écho dans le propos du roman. Difficile aussi parce qu’exigeant en termes d’intrigue. Peu de repère, peu de détails, ni sur Lanvil, son histoire, son passé ou sa constitution, ni sur les personnages, trop rapidement esquissés. Il convient de ne pas se laisser abattre par ces freins à la lecture. La plume de Michael Roch se fait moins onirique ici que sur ses romans précédents, l’ambiance s’y prêtant moins. Mais elle se fait tout de même poétique et formidablement travaillée, créant une ambiance tout à fait identifiable qui réussit à nous emporter. 

« Chaque langue est un véhicule. Il est impossible de nous comprendre sans nous parler, sans nous traduire et sans laisser à la langue de l’autre l’espace qui lui est nécessaire pour exister. Ce qui nous aliène, c’est la dépossession d’une langue au profit d’une autre. Car elle déforme le corps, elle le contraint dans un système qui ne correspond pas à sa pensée.»

Traduire le monde

Dans Tè Mawon, Michael Roch propose une formidable réflexion sur l’usage d’une langue, dans notre histoire personnelle, dans sa relation avec d’autres langues, et dans les sens qu’elle porte. Elle se fait tantôt résistance et appartenance, quand Pat réfléchit en créole dans sa quête de la terre des ancêtres. Elle se fait contrôle et coloniale quand elle anéantit une culture. Elle se fait rencontre quand elle se mêle à l’autre. Et elle grandit et évolue quand on lui en laisse la possibilité. Il analyse avec poésie la question de traduction, non pas seulement des mots mais aussi des émotions et monde entier, dans ce qu’elle porte de subjectif. Il aborde également la question du transhumanisme et de l’importance des émotions comme de l’appartenance. C’est un roman vraiment riche dans ses messages, dans ses propos mais aussi dans son ambiance. Cela dit, je n’ai pas vraiment pris de plaisir à la lecture. En partie à cause des difficultés mais aussi parce que l’intrigue m’a laissé un peu de côté. Je n’ai pas été plus que ça emportée par cette lutte dans Lanvil. De même, j’ai apprécié lire certains voix quand d’autres m’ont laissé plus ou moins indifférente. Le manque de profondeur dans les personnages y est aussi pour beaucoup. J’ai eu du mal à m’attacher à ces êtres qu’on ne nous laisse pas le temps de connaître et qui conservent une certaine forme de caricature. Le traitement des personnages féminins ne m’aura pas convaincu également. Cela reste malgré tout un roman marquant dans l’histoire de l’imaginaire francophone. Imparfait mais néanmoins nécessaire.

« Demain, Pat, tu renverses le monde tjou pou tet. Demain, tu retournes Lanvil, tu creuses ses piliers, à l’ancienne, tu retrouves la terre des zansèt et tu libères le peuple.»

En bref, Tè Mawon est un roman exigeant qui demande un peu d’effort et n’apporte pas tout à fait le plaisir de lecture. Il reste néanmoins une lecture passionnante et foisonnante qui apporte non seulement une étape nécessaire à l’imaginaire francophone mais propose ne plus de nombreuses réflexions formidables. C’est un roman imparfait mais qui a beaucoup a apporté en constituant une œuvre superbement écrite. 

« Lanvil, mégapole caribéenne, vitrine rutilante des diversités culturelles, havre pour tous les migrants du monde, est au centre de tous les regards.

À la pointe de la technologie, constellée d’écrans, la ville s’élève de plus en plus haut mais elle oublie les trames qui se tissent en son sein. Pat et sa bande de débouya vivent de magouilles et de braquages. Joe et Patson courent de galère en galère, poursuivis par les flics. Ézie et sa sœur Lonia, traductrices, infiltrent les hautes sphères des corpolitiques. Toutes et tous rêvent en secret de retrouver la terre de leurs ancêtres, le Tout-monde, enseveli quelque part sous le béton. Pour y parvenir, un seul chemin : faire tomber les murs entre l’anba et l’anwo, et renverser l’ordre établi. »

(Illustration de couverture : © Corinne Billon) 

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[Diversité: pp noir.e, pp métis.se, ps noir.e, ps latinx, ps asiatique, ps arabe]

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[Lecture n°51 (62/108 points avec les bonus pour l'échelon 5 Synchronisation avec la page) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 10 de Ma lecturothèque]