Vigilance

Paru fin août, Vigilance est un des nouveaux titres de la collection Une Heure-Lumière des éditions le Bélial’ (vous savez, cette collection de pépites absolues comme L’homme qui mit fin à l’histoire?). Il s’agit d’une novella de Robert Jackson Bennett que j’avais apprécié de découvrir dans un format nettement plus conséquent avec American elsewhere. Outre la superbe couverture d’Aurélien Police, Vigilance et sa promesse de récit coup de poing était fait pour moi, et voici ce que j’en ai pensé…

« Quel idiot, quel putain de crétin pourrait être non seulement prêt, mais impatient de se faire tirer dessus par un idiot lourdement armé? Eh bien, la réponse était apparemment : les Américains. Beaucoup d’Américains. La plupart d’entre eux, en fait.»

La claque

Vigilance c’est un récit d’anticipation qui dépeint une société américaine, plus que jamais dirigée par la peur, qui se divertit de la mort et de la violence que les armes qu’ils possèdent tous peuvent répandre. En 160 pages, Robert Jackson Bennett nous offre un récit virtuose et corrosif qui percute par sa froideur et sa force. Sa critique de la société américaine pro-armes est acérée et cinglante car le récit d’anticipation qu’il nous offre nous paraît horriblement réaliste. Un monde où la peur et la haine dirigent tout peut en effet tout à fait se mettre à spéculer sur la vie de parfait.e.s innocent.e.s., quand on sait déjà qu’au présent, la vraie souffrance et les carnages soient si alléchants pour une partie non négligeable de la population… Cette lecture m’a évoqué Ce qui nous tue de Tom McAllister qui évoquait aussi brillamment la stupidité américaine qui consiste à se protéger de la violence des armes en armant le plus de monde possible. Outre les armes, l’auteur critique aussi brillamment le patriarcat ou la société capitaliste à travers les aspects marketing du récit et du producteur de Vigilance, le tout sur fond d’anticipation écologique et géopolitique. Les messages de cette novella ont un écho puissant. Vigilance est une claque et fait vraiment partie du haut du classement dans les titres de la déjà excellente collection Une Heure-Lumière.

« Voilà ce qui faisait battre le coeur de l’Amérique: non le sens civique, non l’amour de son pays ou de ses semblables, non le respect de la Constitution… mais la peur. Et là où il y avait la peur, il y avait les armes à feu.»

L’art de maintenir l’attention/la tension

Là où Robert Jackson Bennett aurait pu se contenter d’un simple concept d’émission qui passe directement à l’action et crée de l’effroi rapide, il nous offre plutôt un récit intelligent qui prend un temps nécessaire pour augmenter la tension. L’attente du lancement de Vigilance a un effet accrocheur troublant et terrifiant à la lecture. Rien à faire, mais il y a une fascination malsaine qui se crée aussi pour nous dans cette histoire. Heureusement, cet aspect est contrebalancé par un autre point de vue qui crée de l’émotion. Un point de vue qui redonne un soupçon d’espoir et qui permet aussi de maintenir un certain réalisme. Delyna est en effet la représentante de la minorité silencieuse qui n’entre pas dans le jeu du marketing de la violence, celle d’un vain espoir que les choses peuvent s’améliorer. Robert Jackson Bennett nous offre un récit court, intense mais dense qui parvient à maintenir l’attention à la lecture du début à la fin. Le final, peut-être plus déroutant, a un côté épatant qui marquera les esprits. 

En bref, Vigilance est un des meilleurs titres que j’ai pu lire dans la collection Une Heure-Lumière qui ne contient déjà que des grands textes. C’est un récit incisif, percutant dérangeant qui marque, captive et dérange. Une formidable critique de la société américaine pro-armes et de la tyrannie de la peur.

« Trois tireurs armés jusqu’aux dents lâchés dans un « environnement » public aléatoire délimité. Un but : abattre le plus de personnes possible. Une promesse : un énorme paquet de fric pour celui qui quitte les lieux indemne. Si l’une des « cibles » met hors d’état de nuire l’un des tireurs et survit, une part du pactole lui échoit. Des règles simplissimes, et des dizaines de drones qui filment le tout pour le plus grand bonheur de millions de spectateurs hystérisés, d’annonceurs aux anges et de John McDean, producteur et chef d’orchestre de Vigilance, le show TV qui a résolu le problème des tueries de masses aux États-Unis…»

(Illustration de couverture: © Aurélien Police)