Un éclat de givre

En 2014, Estelle Faye publiait son second roman intitulé Un éclat de givre chez les éditions Les moutons électriques dans leur collection La bibliothèque voltaïque. Un roman qui me faisait de l’oeil pour les belles critiques qu’il avait reçu mais aussi pour l’objet-livre hard-back magnifiquement illustré par Aurélien Police. Alors forcément, faible que je suis, j’ai craqué dessus aux Imaginales quand je l’ai eu devant moi et voici ce que j’en ai pensé…

« Je fixe les flammes de gaz qui s’élèvent du sol sec. Les Frelots se racontent que chacune d’entre elle est l’esprit d’un de ces hommes de passé, ceux qui ont ravagé la planète. Que le remords les lie pour toujours à ce qu’ils ont détruit. Depuis notre passé, ces flambeaux, en témoins, nous mettent en garde. »

Une poésie troublante

Un éclat de givre est le premier roman d’Estelle Faye que je lis (alors que beaucoup me font envie) et la première chose qui m’a frappé c’est sa poésie. L’autrice nous emporte, sans excès, sans fioritures inutiles, dans un univers très poétique par une écriture d’une grande beauté mais qui sait aussi se montrer humble. On ressent ici un talent qui n’a pas besoin d’artifices, un peu comme Chet, le personnage de ce roman, qui lorsqu’il opte pour la simplicité et l’émotion sincère brille d’autant plus que masqué par ses atours de scène. Estelle Faye n’use pas de jolis mots inutilement, tout est juste, et tout est beau. Cela donne parfois au roman quelques longueurs dans le sens langoureux du terme, comme un morceau de jazz à la fois mélancolique et envoûtant. Et pourtant, l’action n’est pas en reste dans Un éclat de givre! Il se passe en effet beaucoup de choses et la tension est bien présente, mais le rythme de ce Paris caniculaire et empêtré dans la végétation donne ce sentiment si particulier qui peut donner l’illusion de langueur/longueur. Paris qui, bien des années après l’effondrement du monde, est une ville qui a son propre rythme de respiration, son aura propre, au point de devenir un personnage à part entière du récit. C’est le lieu où tout se passe, de ces catacombes aux grands lieux en ruines, et sa traversée à quelque chose de troublant tant la ville semble insaisissable et omniprésente à la fois. Paris, elle aussi, participe à cette ambiance poétique. 

« Nous ne pouvons plus changer de passé, nous répétait-il, mais nous pouvons encore modifier l’avenir. Tant que nous sommes en vie. C’est la première leçon que Paul m’ait apprise, celle, selon ses propres mots, qu’il voulait me faire entrer dans le crâne à coups de pioche. Nous sommes encore en vie. »

Un curieux mélange des genres

Ce roman se déroule donc dans un futur post-apocalyptique, empruntant ainsi beaucoup de codes de la science-fiction et de l’anticipation écologique. Mais pas seulement. Un éclat de givre fait aussi appel à quelques créatures fantastiques, aux codes des romans de capes et d’épées, aux grandes fresques sociales et même à la romance. On y croise des freaks, des sirènes et des idéalistes. Et curieusement, tout ça fonctionne parfaitement, en cohérence. C’est un roman pluriel, qui transmet beaucoup au-delà même de son intrigue et qui, par un héros assez atypique, pose des questions vraiment intéressantes sur notre humanité, notre liberté et notre isolement social. Chet est le catalyseur de tous ces messages, par sa capacité à se laisser-aller et à oublier de vivre vraiment malgré (ou avec) ses excès. Chet, un personnage original, loin des habituels clichés des héros, qui m’a beaucoup ému dans sa vulnérabilité. J’ai regretté tout de même que la constellation de personnages secondaires qui naviguent autour de lui ne soit pas plus développée que ça (notamment Paul dont j’aurai aimé connaître plus de choses). Ils représentent plutôt des groupes, des parties d’humanité, mais sans qu’aucun, pas même Tess, ne ressorte suffisamment. Seul Chet, dans son individualité exacerbée, sort du lot.

En bref, Un éclat de givre est un très bon roman, atypique et envoûtant, qui m’a transporté dans ce Paris sauvage et langoureux via la poésie immense de la plume d’Estelle Faye.

« Un siècle après l’Apocalypse. La Terre est un désert stérile, où seules quelques capitales ont survécu. Dont Paris.

Paris devenue ville-monstre, surpeuplée, foisonnante, étouffante, étrange et fantasmagorique. Ville-labyrinthe où de nouvelles Cours des Miracles côtoient les immeubles de l’Ancien Monde. Ville-sortilège où des hybrides sirènes nagent dans la piscine Molitor, où les jardins dénaturés dévorent parfois le promeneur imprudent et où, par les étés de canicule, résonne le chant des grillons morts. Là vit Chet, vingt-trois ans. Chet chante du jazz dans les caves, enquille les histoires d’amour foireuses, et les jobs plus ou moins légaux, pour boucler des fins de mois difficiles.

Aussi, quand un beau gosse aux yeux fauves lui propose une mission bien payée, il accepte sans trop de difficultés. Sans se douter que cette quête va l’entraîner plus loin qu’il n’est jamais allé, et lier son sort à celui de la ville, bien plus qu’il ne l’aurait cru. »

(Illustration de couverture: © Aurélien Police)

[Lecture n°27/36 (pour l'échelon 3) pour le Challenge de Littérature de l'Imaginaire édition 7 de Ma Lectorutothèque]