Toutes les saveurs

Ken Liu est un auteur que j’apprécie énormément, notamment en format court. Alors quand les éditions Le Bélial’ nous propose une troisième novella inédite de l’auteur sino-américain pour la collection Une Heure-Lumière, je fonce. Toutes les saveurs est le 31ème titre de la collection et est paru en mai dernier. Traduit par Pierre-Paul Durastanti, ce récit nous embarque à Idaho City en pleine ruée vers l’or et voici ce que j’en ai pensé…

« Il différait de tous les gens de sa connaissance. À un moment, il tuait un homme à mains nues, et l’instant d’après, il vous tenait la cheville aussi doucement qu’il l’aurait fait d’un chaton. Il chantait des chansons vieilles comme Hérode, puis il riait avec elle autour d’un jeu qui se jouait avec des graines de pastèque et de lotus.»

Effluves de nourriture, chants et histoires

Ken Liu nous offre à nouveau un récit très immersif et très marqué en termes d’ambiance. Avec Toutes les saveurs, il nous plonge à la fois dans la culture américaine de l’époque de la ruée vers l’or mais surtout dans la culture chinoise des immigrés fraîchement débarqués dans cette Amérique qui les tolère pour les exploiter. Effluves épicées, chants et musique aux sonorités exotiques, les chinois amènent avec eux de quoi titiller la curiosité des sens de celles et ceux qui ne les rejettent pas par un racisme primaire. La novella nous immerge parfaitement dans cette rencontre des cultures, nous donnant presque à sentir les odeurs enivrantes de la nourriture, l’écho des chants, les rires et les langues qui font battre le coeur d’Idaho City. Le tout est ponctué des récits nous parlant de Guan Yu, Dieu de la guerre, dont l’histoire entre en curieuse résonance avec le parcours de Lao Guan. Envoûtante, cette novella est un très beau récit plein de lumière mais aussi de moments beaucoup plus sombres quand il nous parle d’exclusion et de racisme avec un souci historique qui souligne malheureusement une certaine actualité.

« Même si la terre ne sent pas comme chez nous, le ciel est plus vaste et plus profond que je ne l’ai jamais vu. Chaque jour, j’apprends les noms de choses que je ne soupçonnais pas et j’accomplis des exploits dont je me croyais incapable. Pourquoi redouter de nous élever le plus haut possible et de nous forger un nouveau destin? »

Un récit à la frontière des genres

Un peu comme Ormeshadow, ce titre de la collection UHL se situe à la frontière des genres. Si un soupçon de fantastique/mythique s’intègre à cette histoire, le récit reste profondément ancré dans la réalité, dressant surtout le portrait d’une époque et des individus qui lui donnent vie. Pour les frileux de l’imaginaire, c’est une porte d’entrée parfaite dans la collection. Ken Liu a ce talent particulier d’intégrer délicatement l’imaginaire dans le réel, illuminant de magie une réalité historique qui en a bien besoin. C’est avant tout la magie de ses mots qui nous emportent, nous laissant envoutés tout comme Lily l’est par les histoires contées par Lao Guan. Le récit de Guan Yu est lui aussi aux frontières des genres, nous présentant une histoire tragique de vengeance aux soupçons mythiques mais à la réalité bien cruelle. C’est par ce parallèle étonnant que la fin ouverte de la novella devient superbe, nous laissant dresser la conclusion à notre convenance, en embrassant la réalité ou la magie…

En bref, Toutes les saveurs est un très beau récit à l’ambiance très immersive qui nous ouvre l’appétit, nous emporte aux sons des chants et nous envoûte par les récits à propos de Guan Yu, le dieu de la guerre chinois. Aux frontières de l’imaginaire et du réel, c’est une novella qui nous parle d’émigration, de racisme mais aussi d’inclusion et de rencontres dans un contexte historique passé mais aux accents très actuels. Ce n’est pas le meilleur texte de Ken Liu, mais c’est déjà très beau.

« Idaho City, en pleine fièvre de l’or.

Les temps sont à la conquête. De l’Ouest, bien sûr. De la fortune, surtout… Prospecteurs, commerçants, banquiers, filles de petite vertu, bandits et assassins s’agrègent en une communauté humaine au goût de mauvais whisky et à l’odeur de poudre. Et puis il y a ce petit groupe de prospecteurs chinois. Qui vivent entre eux, s’entassent dans des baraquements minuscules, et font planer sur la ville les effluves de leur cuisine aux saveurs aussi épicées qu’inconnues. Lily, la fille de leur propriétaire, est fascinée par ces étrangers aux coutumes impénétrables. Et par l’un d’entre eux en particulier, un géant au visage rouge et à l’immense barbe, Lao Guan, qui lui apprend les mystères du wei qi et lui raconte des récits stupéfiants, les aventures de Guan Yu, le dieu de la guerre, de Lièvre roux, son cheval de bataille, et de Lune du dragon vert, sa fidèle épée. Guan Yu, qui fait face à l’injustice et à la trahison dans cette Chine impériale fabuleuse. À l’image de Lao Guan, dans cette Amérique en gestation… »

(Illustration de couverture: © Aurélien Police)

[Diversité: ps asiatique - chinois-e]

Alcool, Esclavagisme, Meurtre, Nourriture, Racisme, Sang, Suicide

[Lecture n°47/72 (pour l'échelon 5 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 9 de Ma lecturothèque]