Les oiseaux du temps

Prix Hugo, prix Locus et prix Nebula 2020, This how you lose the time war est une novella écrite à quatre mains par l’autrice canadienne Amal El-Mohtar et l’auteur américain Max Gladstone. Sa version VF, traduite par Julien Bétan sous le titre Les oiseaux du temps, sort en librairie le 14 mai prochain sous le label Mu des éditions Mnémos. Ce court roman reçoit déjà une pluie de critiques positives et il me tardait vraiment de le découvrir. Voici donc ce que j’en ai pensé…

[NB : Je remercie les équipes de Continent Mu pour ce service presse très attendu.]

« Il est si facile de détruire une planète que l’on peut négliger la valeur d’un murmure susurré à la neige. »

Un récit unique

Les oiseaux du temps est un texte à part, un de ces récits à l’identité unique très marquée qui ne pourra pas plaire à tout le monde mais qui sort indéniablement du lot. Fidèle à sa ligne éditoriale, le label Mu nous offre un récit surprenant au style assumé qui navigue dans les frontières des genres. Les oiseaux du temps relève de la science-fiction, utilisant l’uchronie et le voyage temporel comme théâtre d’une guerre éternelle dont on ne saisit jamais vraiment le sens, mais c’est aussi un roman épistolaire qui nous relate une histoire d’amour lesbien interdit à la Roméo et Juliette. Deux camps s’opposent, l’un plus mécanique, l’autre plus biologique, deux personnalités, l’une vive et l’autre douce, deux méthodes de combat, l’une rapide et clinquante, l’autre discrète et au long cours, mais au cœur de l’échange, une sorte d’unité. Un compromis qui fait sens au milieu d’une guerre absurde et infinie, une manière de perdre la guerre mais de remporter une victoire bien plus grande, celle d’un amour qui dépasse l’attachement même à notre propre existence. Difficile de vous parler clairement de ce roman assez cryptique, qui ne lâche ses informations qu’au compte-goutte et maintient volontairement le lectorat dans le flou. Il s’agit de se laisser porter, d’accepter de lâcher prise et de ne pas tout saisir pour apprécier la lecture pleinement. Ce n’est donc pas un roman pour les personnes trop cartésiennes ou qui ont besoin de saisir le but et le sens de l’univers qui leur est proposé. Vous ne saurez que peu de choses sur le fonctionnement de ce monde, encore moins sur les objectifs des deux camps. La seule chose évidente ici, c’est l’amour.

« Tu m’as aiguisée comme une pierre. Je me sens presque invincible dans le sillage de nos batailles : une sorte d’Achille au pied d’argile et à la main légère. Je ne me sens faible que dans cet endroit inexistant où nos lettres se mêlent.

Comme il est bon de ne pas y porter d’armure. »

Un bijou de poésie

Les auteur-ices nous offrent ici un récit où les mots s’entrelacent pour tisser la tresse d’une œuvre superbe. Métaphores, polysémie des mots, jeux de langage et images oniriques, Les oiseaux du temps est un vrai petit bijou de poésie qui nous frappe en plein cœur. C’est le genre de roman dans lequel on s’attarde volontiers pour relire différents passages pour s’en imprégner pleinement, en saisir tout le sens ou simplement profiter de leur beauté. Chapeau à Julien Bétan pour cette traduction exigeante qui nous transporte dans une bourrasque de mots doux-amer qui font chavirer le cœur. Si je devais regretter une chose dans ce récit, ce serait sans doute son aspect répétitif, enchaînant une situation puis une lettre en alternance entre Bleu et Rouge. Mais heureusement, l’imagination fertile des deux auteur-ices nous embarque aussi dans une formidable réflexion sur les différentes possibilités de notre Histoire par un système uchronique d’une richesse folle.

« Il est toujours trop tard pour dire ce qui compte. »

En bref, voici une novella étonnante, un récit d’une poésie incroyable, un texte maîtrisé à l’identité et à la construction originales et assumées. Parfois cryptique, c’est aussi un roman qui maintient dans l’ombre beaucoup de données sur son univers tout en nous en dévoilant sa richesse. Mais le voyage est si beau que je ne peux que vous inviter à vous laisser porter par ce roman surprenant.

« C’est ainsi que nous gagnons.

Bleu et Rouge, deux combattants ennemis d’une étrange guerre temporelle, s’engagent dans une correspondance interdite, à travers les époques et les champs de bataille. Ces lettres, ne pouvant être lues qu’une seule fois, deviennent peu à peu le refuge de leurs doutes et de leurs rêves. Un amour fragile et dangereux naîtra de leurs échanges. Il leur faudra le préserver envers et contre tout.

Les Oiseaux du temps fait partie de ces romans inoubliables qui nous ressourcent et nous rappellent avec douceur et justesse que l’humanité, l’altérité et l’amour sont les réponses universelles à nos besoins essentiels. »

(Illustration de couverture : © Kévin Deneufchatel)

[Diversité: pp lesbienne]

Sang, Mort

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[Lecture n°42/72 (pour l'échelon 5 Fusion dans l’utopique) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 9 de Ma lecturothèque]