L'ennemi

Il y a des albums qui marquent un temps, il y en a d’autres qui marquent pour toujours. Voilà 10 ans que j’ai découvert L’ennemi de Davide Cali et Serge Bloch et j’en garde un souvenir fort et inoubliable. Il était temps pour moi de vous en parler pour la rubrique « l’album du mois ». Edité par Sarbacane en 2007 en partenariat avec Amnesty International et l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, il a été réédité en 2016. Et voici ce que j’ai à vous dire à son propos…

D’une grande justesse

L’ennemi commence fort, avec une double-page proclamant « C’est la guerre », puis c’est le dénuement avec deux trous qui transpercent des pages blanches, dans ces trous deux soldats ennemis. Avec un dépouillement visuel, quelques traits particuliers et des collages, L’ennemi intrigue et déroute par rapport aux albums illustrés habituels. Le style peut éventuellement refroidir les lecteurs mais ce vide met finalement en lumière l’absence de confort. Il illustre le dénuement du soldat seul dans son trou à mener une guerre pour laquelle il a été enrôlé et endoctriné, mais qui subit jour après jour l’angoisse, la faim, le froid, le désespoir. Rien de romanesque ni d’épique dans cette guerre, c’est au contraire la souffrance du soldat que l’on ressent, souffrance qui l’amène à réfléchir, à penser à cet ennemi sanguinaire à combattre, à sa famille qui l’attend, et à cette guerre qu’il serait bon de terminer un jour. C’est l’absurdité de la guerre que cet album met en lumière avec énormément de justesse et une puissance immense. Et le message, à hauteur d’homme, passe sans problème pour l’enfant dès 6 ans, comme pour l’adulte. On y dénonce, non seulement, la bêtise de la guerre, mais aussi l’utilisation des soldats comme chair à canon, l’endoctrinement ou encore le pouvoir absurde d’hommes qui, bien au chaud, envoient à la mort de pauvres malheureux à leur place. Les mots de Davide Cali sont d’une précision et d’une force rares et cet album est un chef d’œuvre.

Absolument ESSENTIEL

A chaque lecture que je fais de cet album, c’est une immense claque ! Arrive un moment de l’histoire où l’absurdité percute les soldats de plein fouet, où ils se rendent compte que tout ce qu’on leur a dit sur cet ennemi est sans doute infondé, que cet homme qu’il doive tuer est comme eux, qu’une famille l’attend… Et c’est ce bouleversement qui marque à jamais le lecteur, qui le frappe lui aussi, tant ce moment est intense. Et ce final ! Ce final me provoque un coup en plein cœur à chaque lecture et m’avait même fait verser des larmes lors de ma première découverte de l’album. Croyez-moi, si vous pensez que les albums jeunesse sont forcément légers, ou qu’ils ne savent pas aborder des sujets aussi graves, celui-ci vous fera changer d’avis. C’est un album que je transmets dès que j’en ai l’occasion, c’est un album qui doit être lu par tous, c’est un album qu’il conviendrait de mettre entre les mains de tous les dirigeants va-t’en guerre, mais c’est aussi un album que les enfants peuvent comprendre. Pour moi, c’est un livre essentiel à parcourir une fois dans sa vie, et j’espère sincèrement que chaque individu qui lira cette critique ira en bibliothèque, ou en librairie, pour y trouver L’ennemi.
En bref, L’ennemi est un album illustré d’une puissance rare, qui évoque l’absurdité de la guerre avec justesse et qu’il convient de mettre entre toutes les mains !

Résumé :

« Un soldat, livré à lui-même au fond de son trou au cours d’une guerre interminable, s’interroge sur le silence de son commandement et surtout sur l’autre, l’ennemi, celui que son manuel décrit comme une « bête sauvage ». »

(Illustration de couverture : ©Serge Bloch)