L’architecte de la vengeance

Lauréat du World Fantasy Award 2021 et du New England Book Award for Fiction 2020, L’architecte de la vengeance est un court roman de Tochi Onyebuchi publié fin mars aux éditions Albin Michel Imaginaire. Premier roman pour un public adulte de l’auteur, il a rencontré un franc succès et a eu un écho important pour le mouvement Black lives matter. Il me faisait très envie et voici ce que j’en ai pensé…

[NB : Un grand merci aux éditions Albin Michel Imaginaire pour ce service presse.]

« Elle cherche le mot qui fera comprendre à sa mère à quel point la violence est envahissante, à quel point elle déteste à avoir à se cacher dans le placard chaque fois qu'il y a du gang dans l'air, à quel point elle déteste savoir à son âge ce que signifie le fait d'habiter dans une zone Hoover, ou d'imaginer quasiment en permanence les choses horribles qui vont arriver aux garçons d'ici. »

Un roman coup de poing

L’architecte de la vengeance, ou Riot baby (j’ai une large préférence pour le titre anglais), est un court roman qui nous plonge au cœur de la société américaine raciste, inégalitaire, injuste et notamment dans la violence des quartiers. C’est avant tout l’histoire d’une colère, de celle, étincelle, qui crée les émeutes, de cette rage qui, quand elle explose, fait le mal mais peut aussi faire naître quelque chose de nouveau. C’est le récit d’un peuple qui n’en peut plus de ne pas avoir de choix, de ne pas avoir d’avenir et d’avoir toujours peur. C’est l’histoire de la violence quotidienne et dévastatrice, de la vague de colère qui n’entraîne que d’autres marées de haine parce qu’opprimer, forcer, contraindre ne peut aboutir qu’à l’implosion. Comme un cri, ce roman scotche par son écriture acérée, sans fioritures, où chaque mot semble avoir été choisi avec soin, où chaque phrase happe et percute. Un texte puissant parfaitement traduit par Anne-Sylvie Homassel. C’est une lecture coup de poing, comme on peut en avoir avec Colson Whitehead, Phenderson Djèlí Clark ou Nana Kwame Adjei-Brenyah. Un livre puissant parce que juste, sincère et nécessaire. Alors oui, ce roman fait mal. C’est un coup de poing dans la gueule pour les sujets qu’il aborde mais aussi pour la puissance de son émotion. Avec les mots de l’auteur, chaque scène est comme une plaie à vif et chaque sentiment est décuplé. Impossible d’en ressortir indemne. 

« Tous ces visages: blancs, burinés. Rien à craindre des canons des tourelles et de la constante surveillance. Cet endroit n'en a pas besoin. Une explosion de colère lui ébranle le coeur, minuscule ; l'avale presque aussitôt la pitié. Qui s'effiloche; s'ils voyaient Ella, ils continueraient à penser qu'ils lui sont intrinsèquement supérieurs. »

Des choses à dire

Tochi Onyebuchi avait des choses à dénoncer et il fait avec brio, sous couvert d’imaginaire. Car grâce au Don d’Ella, qui lui permet de plonger au cœur de l’histoire passée et à venir des gens et des peuples, c’est tout le récit atroce de l’histoire du racisme et de ses conséquences atroces qui nous est projeté en pleine face. Mêlant réalité terrifiante, que ce soit celle de violence policière ou des actes barbares et abjects à l’égard des noir.e.s, le roman rappelle l’injustice de notre société et propose une extrapolation vers une dystopie terrifiante. Il questionne alors brillamment la notion de liberté, de libre-arbitre, et appelle au soulèvement. La narration un peu éclatée pourra perturber mais elle se fait le reflet d'une explosions de faits et de messages. L’auteur a aussi des choses à dire sans passer nécessairement par la fiction. C’est pour cela que l’édition française s’accompagne de deux articles de l’auteur. Les deux questionnent, entre autres, la place de l'écrivain noir ou encore la notion de races inhérente à un univers. Deux articles passionnant qui éclairent encore un peu plus le roman, notamment le second texte. Deux textes très intelligents qui proposent de belles pistes de réflexion!

En bref, L’architecte de la vengeance est un coup de cœur. Une véritable claque pour ce qui concerne l’écriture au scalpel de l’auteur et l’intensité des émotions véhiculées. L’histoire d’une colère inévitable et légitime qui soulève en nous un vent de révolte. Une lecture nécessaire, puissante et juste qui marque les esprits et emporte.

« Ella a un don. Quand elle regarde un enfant, et avant que son nez ne se mette à saigner, elle sait s’il va devenir infirmier en gériatrie ou s’il va mourir avant l’âge de onze ans, étendu sur un trottoir, les yeux vers le ciel, fauché par l’incompréhensible guerre des gangs qui ensanglante son quartier depuis toujours. Pirus, Crips, Bloods... la violence a tant de noms à Compton. Quand Kevin, son frère, voit le jour en 1992, pendant les émeutes provoquées par l’acquittement des policiers impliqués dans l’affaire Rodney King, Ella sait déjà que sa famille va déménager de la Californie pour Harlem et qu’elle tiendra bientôt dans sa main sa première boule de neige. Mais quitter l’endroit d’où l’on vient ne permet pas toujours d’échapper à la violence et à l’injustice. Ella a un don ; pour elle, pour Kevin, pour l’Amérique, sans doute le temps est-il venu de l’utiliser. »

(Illustration de couverture : © Aurélien Police)

[Diversité : pp noir.e, ps noir.e]

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[Lecture n°30/108 (pour l'échelon 5 Synchronisation avec la page) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 10 de Ma lecturothèque]