Journal intime d'un Dieu omniscient
Après avoir eu un franc coup de cœur pour Seconde humanité et apprécié ma découverte de Prototypes, deux premiers romans d’Adrien Mangold, il me tardait de relire à nouveau l’auteur. Le 17 juin, les éditions de L’Homme sans Nom publient son nouveau roman, Journal intime d’un Dieu omniscient. S’essayant cette fois au registre plus fantasy après deux titres SF, Adrien Mangold nous propose un voyage étonnant dans l’esprit d’un Dieu. Voici ce que j’en ai pensé…
[NB : Merci aux éditions de l’Homme sans Nom pour ce service presse. - Retrouvez également mon interview de l’auteur à propos de son parcours et de cette sortie.]
Une narration surprenante
Ce nouveau roman suit les habitudes qu’à l’auteur jusqu’à maintenant de proposer une construction narrative loin d’être classique et toujours différente de ce qu’il a pu écrire précédemment. Avec Journal intime d’un Dieu omniscient, Adrien Mangold propose un roman choral alternant entre de nombreux personnages à un rythme plutôt effréné, s’attardant en effet sur elleux sur une double page maximum. Ces différents points de vue sont également entrecoupés de dialogues entre le Dieu Astria lui-même et son scribe, parlant d’ailleurs souvent de nous, voire à nous, lecteur et lectrice, en plus de petits traités sur le fonctionnement de ce monde qui nous sont destinés. Ajoutons à cela des notes de bas de page qui font figure de lieux de liberté pour le porte-plume d’Astria et rappellent un peu ce que pouvait faire Pratchett lorsqu’elles se font insurrectionnelles ou cocasses. Ces notes revêtent elles aussi valeur d‘histoire à suivre, complexifiant parfois un peu plus la narration (attention d’ailleurs, les notes de bas de pages sont susceptibles de contenir des spoilers d’autres œuvres). Je salue vraiment l’originalité mais aussi le travail d’écriture qu’une telle construction impose. Cela dit, c’est aussi ce qui m’a posé de nombreux problèmes à la lecture.
" - Toi, on ne peut pas dire que tu dois effrayé à l'idée de mourir.Elix trace un grand U pour faire tirer la langue à son dessin.- On serait déjà un peu morts si on s'arrêtait de rire."
Une immersion ardue
Au début du roman, on se prend une masse d’informations assez imposante, nécessitant un grand effort de visualisation et de mémoire pour repérer qui est qui (les noms de personnages pouvant créer un quizz « Médicament ou personnage » à eux tout seuls), où sont-iels et que font-iels. En plus, évidemment, de comprendre ce qu’iels sont et comment fonctionne cette planète. Pour vous aider, point de carte, point de glossaire, débrouillez-vous. D’ailleurs Astria va même vous donner des devoirs, comme dessiner le monde selon des indications qui, pour mon cerveau fatigué, ont été une vraie plaie. Vous avez, cela dit, le fruit de mon travail dans cet article (corrigé par l’auteur), en espérant que ça vous aidera... Je dois dire que le début a vite été très pénible pour moi, et ce malgré quelques notes d’humour qui m’ont au départ motivé à poursuivre avec joie. Je savais que ce ne serait pas un roman facile mais je ne savais pas que j’allais tant bloquer dessus. Après 100/150 pages, on commence à mieux visualiser les choses, ou à tout le moins, à identifier les personnages. Malheureusement, le rythme effréné d’enchaînements empêche de vraiment s’y attacher. Et, une fois la lecture achevée, je garde encore des questions sur certains éléments du monde décrit, n’ayant jamais réussi à comprendre ce qu’étaient certaines choses pourtant assez centrales pour la planète. Une immersion compliquée en somme qui m’aura laissée de côté durant tout le roman, frôlant à de nombreuses reprises l’abandon.
" (note de bas page) Ce tutoiement décidé d'autorité m'apparaît d'une remarquable incorrection! Ces lignes se veulent être une invitation à découvrir son monde, or cette proximité forcée vire au pédant. Est-ce là tout le respect qu'il exprime pour vous? Un peu de tenue, que diable! Il s'agit de vous séduire pour quelques centaines de pages, pas de vous traiter en acolyte de comptoir."
Trop d’attentes ?
Outre la construction même du roman et sa complexité, j’ai aussi bloqué sur l’intrigue principale. L’idée cocasse du Dieu qui s’ennuie et qui décide de se donner un défi pour nous présenter son monde me plaît énormément. Mais à part quelques actions divines, le roman constitue surtout une observation de différents protagonistes évoluant dans un univers dont les codes ne sont pas acquis pour nous. On perdrait souvent de vue le défi s’il n’y avait pas les intermèdes entre Astria et son assistant, intermèdes intéressants et rafraîchissants cela dit. J’ai aussi eu le sentiment que l’auteur essayait de trop justifier son histoire parfois ce qui a freiné mon immersion et ma suspension d’incrédulité à de nombreuses reprises. J’ai peut-être versé trop d’attentes, espéré trop de choses, mais forcée de constater que je me suis ennuyée. Pourtant l’univers foisonne de bonnes idées. L’écriture reste agréable et varie d’une scénette à une autre. Et j’ai grandement apprécié le fait que l’auteur lui-même use de sarcasmes sur le roman et l’écriture. L’humour en transparence est vraiment bon et propose même plusieurs niveaux de lecture en brisant le quatrième mur avec fracas. Mais il m’a manqué de l’émotion, en plus de l’attachement, pour réussir à accrocher. Je crois simplement que ce n’était pas fait pour moi et c’est d’autant plus difficile à accepter quand c’est un auteur qu’on admire beaucoup. J'ai eu d'ailleurs un mal fou à rédiger cet avis parce que je reste frustrée de ne pas avoir aimé comme j'ai pu aimé les autres titres d'Adrien Mangold. J’espère, cela dit, que ça ne vous empêchera pas de lui donner sa chance. L’auteur le mérite.
En bref, j’ai malheureusement été déçue par ma lecture de Journal intime d’un Dieu omniscient qui réunit pourtant de belles qualités : l’originalité de sa narration, de l’humour sarcastique à plusieurs niveaux de lecture, un univers intriguant et une idée audacieuse. Mais la construction narrative trop saccadée et le manque de repères m’ont fait heurter de plein fouet la complexité de ce monde sans jamais parvenir à totalement m’y immerger, ni même à m’attacher aux personnages. Je suis restée de côté et je me suis ennuyée, ayant voulu abandonner mais étant allé jusqu’au bout avec l’espoir que ça allait s’arranger tant j’apprécie les autres œuvres de l’auteur. Malheureusement ce fut en vain.
« Le dieu omniscient en question a fait de moi son prête-plume. Disposant d'un peu de temps libre, il s'improvise guide pour vous faire découvrir sa planète. S'il vous plaît, ayez pour lui une certaine indulgence si ses obligations le rattrapent. Il a beau être un dieu, il n’aurait pas besoin de mon aide s’il était sans failles.— Ysmahel…Diantre ! Il me surveille jusqu’ici. Puisque je ne pourrai pas en dire plus, je le laisserai se présenter selon ses propres mots.Cher lecteur, chère lectrice, les humains sont passés de mode. Bienvenue dans une société d'eau, de feu et de roche, bienvenue dans un monde où les villes naissent, la révolution approche et le Jour paresse. Bienvenue sur Astria ! »
(Illustration de couverture : © François-Xavier Pavion)
Content warning (contenus pouvant heurter la sensibilité sur la base d'une liste établie par Planète Diversité): Agression, Meurtre, Mort, Sexe
[Lecture n°44/108 (pour l'échelon 5 Synchronisation avec la page) pour le Challenge de L'Imaginaire édition 10 de Ma lecturothèque]
Comments
Add new comment