De ira

Après avoir découvert Stéphane Hirlemann par sa très surprenante BD L’homme sans sourire, publiée cette année chez Bamboo, j’attendais évidemment impatiemment un nouveau titre de l’auteur. Avec De ira, publié chez Delcourt, Stéphane Hirlemann nous propose un récit d’anticipation dystopique one-shot très proche de notre présent. Avec une couverture magnifique qui capture notre regard par son intensité, De ira s’est immédiatement imposé dans mes envies lectures. Et voici ce que j’en ai pensé…

Un récit qui choque et qui déstabilise

Stéphane Hirlemann ne fait décidément pas les choses comme tout le monde dans le monde de la BD. De ira, qui débute comme une narration classique, prend vite des détours surprenants. Entre hallucinations, délires psychotiques, ellipses temporelles et rythme instable, c’est une œuvre qui peut déstabiliser car elle ne suit pas les repères narratifs classiques et impose sa vision des choses, entre chaos et sens. Malgré ces éléments, le fil central reste tout à fait clair et nous propose une histoire marquante par la rage qui s’en dégage et le désespoir crasseux qui emprisonne les personnages dans un cocon sombre. Car De ira est avant tout un récit de révolte. Révolte contre les inégalités criantes de notre monde, contre son sexisme généralisé qui bousille des vies, contre l’aveuglement des citoyens qui ne regardent plus l’Autre, contre le racisme et les valeurs néfastes du fascisme. De ira est un cri, un hurlement qui dévaste tout, qui fait mal et qui nous parle de cette colère qui nous bouffe et nous place en opposition dont les issues ne sont pas forcément belles. Alors oui, parfois la lecture m’a laissée perplexe, parfois je n’ai pas suivi le cheminement de pensée de l’auteur non plus. Mais pourtant, cette lecture vertigineuse m’a indéniablement marquée. On notera aussi un graphisme en noir et blanc, foisonnant de détails et qui correspond à merveille à la noirceur de cette histoire et rendant l'ensemble d'autant plus envoûtant.

Un récit foisonnant de sens

Avec De ira, Stéphane Hirlemann propose une critique multiple de la société à travers l’histoire de personnages qui tentent de continuer à vivre. De celle, défavorisée, qui cherche à emmagasiner du savoir pour s’émanciper malgré l’accès aux universités réservés aux plus riches, à l’anarchiste qui vrille complètement en quête d’une liberté dans une jusqu’au boutisme terrifiant en passant par celle qui a tout pour s’en sortir mais n’arrive plus à faire avec ce monde inégalitaire qu’elle voit les autres subir de plein fouet. C’est une BD qui parle, entre autres, de la situation des migrants, du racisme, des violences faîtes aux femmes, de la violence policière, de la chasse, du pouvoir despotique des fascistes mais aussi de délires psychotiques, de maladies handicapantes ou encore de luttes. Une multiplicité de thème dans un one-shot très intense qui perdra certainement quelques éléments du lectorat en route et en sidèrera d’autres devant son ampleur. C’est une BD qui tente de trouver comment vivre dans un monde qui ne nous convient plus. Et ça la rend très touchante. Attention, par contre, si vous avez le moral à zéro ou si vous êtes sensibles : les propos et les images sont dures à encaisser.

En bref, De ira est une BD atypique en noir et blanc. Elle s’inscrit comme un cri de rage et de révolte et interroge les issues possibles et impossibles des luttes face à une société inégalitaire, sexiste et fasciste. C’est un one-shot déstabilisant par son chaos qui fait sens et puissant par l’intensité de son propos. Elle n’est sans doute pas à mettre entre toutes mains mais elle m’a énormément marquée à cette époque de colère généralisée.

« Pêche et Caro sont liées par une profonde amitié. Malgré le sexisme ambiant et la violence d'un monde de plus en plus précaire, la première ramène toujours sa bouillante amie vers plus de légèreté et de raison. Un jour, pourtant, Caro perd pied... Son apaisement viendra-t-il d'Elisée, ce clochard céleste qu'elle n'arrête pas de croiser ou se laissera-t-elle submerger par sa colère ? »

(Illustration de couverture et extraits : © Stéphane Hirlemann)

[Diversité : pp noir.e, pp végétarien.ne, ps noir.e, ps arabe, ps malade]

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