Chroniques du pays des mères

Pour ce mois de mars, et dans le cadre de Mars au féminin, je me devais de lire Chroniques du pays des mères d’Elisabeth Vonarburg qui a été réédité en 2019 dans une version préfacée par Jeanne-A Debats pour les éditions Mnémos. Roman de science-fiction féministe paru initialement en 1992, il fait figure d’immense classique, récompensé par le Prix spécial Philip K. Dick, le Grand prix québécois de la Science-Fiction, le Prix Aurora et le Prix Boréal. Elisabeth Vonarburg est une grande dame de la SF et du féminisme que je me devais de découvrir. Et voici ce que j’en ai pensé…

« Le mot est inexact. Il peut être dangereux d’employer des mots inexacts. 

- Ce n’est qu’un mot, protesta Lisbeï.

- A force d’employer des termes inexacts, l’inexactitude finit par contaminer nos idées et par les transformer.»

Une oeuvre féministe

Chroniques du pays des mères est un livre dense que l’on peut qualifié d’anticipation, qui envisage un avenir très éloigné où le monde, anéanti, est réparé par une société majoritairement constitué de femmes. Je ne le qualifierai pas d’utopie, bien que de nombreux éléments peuvent s’y apparenter, mais je le qualifierai certainement de féministe, non pour la prévalence du sexe féminin mais pour les réflexions permanentes sur l’égalité des sexes inscrites dans l’histoire et portées par l’écriture. Elisabeth Vonarburg propose en effet un récit où le vocabulaire s’est féminisée pour marquer la scission avec une période néfaste de patriarcat violent. Ainsi le printemps est la printane, les enfants sont des enfantes, etc. Rappelons que cela a été écrit en 1992: quel avant-gardisme! Et pourtant, point de condamnation abusive des hommes dont le traitement dans cette société est d’ailleurs sans cesse interrogé par les protagonistes et les faits. Le côté le plus engagé de ce livre est sans doute présent dans la préface qui dépote grave de Jeanne-A Debats mais l’enseignement à retirer de l’oeuvre d’Elisabeth Vonarburg est tout aussi grand. Elle interroge en tout cas avec force l’impact du vocabulaire et des mots comme marqueur d’une domination. C’est dans le style que l’engagement est le plus frappant car il bouleverse nos habitudes et démontre ainsi les travers de notre société patriarcale qui nie l’existence féminine jusque dans ses mots. 

« D’ailleurs, une opinion sans cesse résurgente chez les Juddites voulait que la création même de la matière en général et de la race humaine en particulier eût été une erreur d’Elli et qu’en fin de compte, si la race humaine s’éteignait, ce ne serait pas forcément un mal: on avait vu, on voyait encore, ce qu’elle avait fait au monde où elle vivait, la race humaine! »

Une oeuvre intense

Fresque d’une société complexe, ce roman aborde des sujets de réflexions extrêmement variés sans jamais imposer un avis arrêté. A travers le récit intime de Lisbeï, l’autrice interroge par exemple la question des religions, de la liberté, de l’écologie, de la sexualité ou encore de l’avortement. Les pistes de réflexions sont très nombreuses et passionnantes! C’est un récit très dense qu’il convient de prendre le temps d’assimiler au risque parfois de briser un peu son rythme de lecture et même, soyons honnêtes, son plaisir. J’ai en effet ressenti quelques longueurs et l’aspect riche de l’univers, du style et du propos, bien que fondamentalement enthousiasmant, apporte aussi un peu de lourdeur à une intrigue déjà fort dense. Cela n’enlève cependant en rien au caractère magistral de l’oeuvre qui envoûte le lecteur par son univers interpellant et son écriture renversante. Ce n’est juste pas le genre de roman qui se lit « à la légère », il vaut mieux être prévenu.

En bref, Chroniques du pays des mères est une oeuvre magistrale féministe et dense qui propose de nombreuses pistes de réflexions passionnantes à travers un récit intimiste. Et si quelques longueurs viennent parfois entamer le plaisir d’un.e lecteur/lectrice, ce roman n’en reste pas moins un classique important et marquant par sa qualité et sa richesse. 

« Sur une Terre dévastée, le Pays des Mères a pu s’établir grâce au recours des femmes à une insémination artificielle incertaine car les hommes sont devenus rares, un virus déséquilibrant les naissances. La jeune Lisbeï sait qu’elle est promise au titre de « Mère ». Pourtant, son destin se révélera tout autre quand elle apprend sa stérilité. Loin de chez elle, devenue « exploratrice », elle accomplira l’un de ses rêves les plus chers : découvrir les secrets du lointain passé du Pays des Mères.»

(Illustrations de couverture: © Picomodi - graphisme © Atelier Octobre rouge)

[Lecture n°14/60 (pour l'échelon 4) et Auteur/Autrice classique n°1/3 (pour la catégorie D) pour le Challenge de Littérature de l'Imaginaire édition 8 de Ma lecturothèque]

- Lecture pour le Challenge #HMSFFF - Mars 2020: Women in charge -