After Yang et autres histoires
Paru le 24 juin dans la collection Perles d’épice des éditions ActuSF, After Yang et autres histoires est un recueil de 13 nouvelles de science-fiction de l’auteur américain Alexander Weinstein. Il débute par Nos adieux à Yang (After Yang), une nouvelle récemment adaptée au cinéma (en salles en mars 2022 en Belgique et en juillet 2022 en France) par Kogonada dont l’affiche du film sert ici de couverture. J’avais très envie de lire ce recueil et voici ce que j’en ai pensé…
[NB : Un grand merci aux éditions ActuSF de m’avoir permis cette découverte.]
"Ici se trouvait l'océan, là les navires, là-bas l'hôtel, le chemin qui menait à la ville, les vendeurs de rue, les souvenirs d'enfants que nous n'avions jamais eus et de parents de loin meilleurs que les nôtres. Et à l'horizon, au loin, il y avait les limites du monde."
Technologie, famille, humanité et nature
Avec ce recueil, l’auteur nous propose plusieurs visions du monde de demain à travers 13 textes qui se recoupent ou se font parfois écho les uns les autres, dans un panorama tantôt terrifiant, tantôt bouleversant, toujours interpellant. Treize textes assez différents tant en termes de style narratif que de sujets principaux mais qui s’articulent autour de thématiques globales. On aborde notamment sous plusieurs angles l’impact de la technologie sur les rapports humains, sur notre manière de vivre en société et de vivre avec nous-mêmes également. L’auteur interroge aussi beaucoup la notion d’attachement, notamment familial, flirtant dans ses limites que la technologie repousse, interrogant aussi le deuil avec talent. Il ne peut s’empêcher aussi de dépeindre notre avenir climatique dans quelques textes glaçants de réalisme qui restent longuement en tête après lecture (gare à la solastalgie). C’est un recueil qui interroge sans cesse l’humanité, dans sa définition comme dans ses actes, avec parfois des sujets difficiles mais terrifiants de justesse. Un recueil futuriste qui recentre donc toujours sur l’Humain, un peu comme le fait Ken Liu et qui donne à vivre de belles émotions. Bien entendu, comme tout recueil, certains textes me plaisent moins que d’autres. Certains semblent aussi faire lieu d’interlude, nécessaire à la construction de l’univers même si moins passionnants. Il n’empêche que face à l’ensemble je ne peux éprouver qu’un véritable coup de cœur tant Alexander Weinstein nous offre des récits aussi beaux qu’interpellants dans un maelström d’émotions sincères. Certains passages sont d'une poésie superbe et beaucoup de ces 13 textes me resteront longtemps en mémoire.
Un petit mot sur chacune des treize nouvelles
Nos adieux à Yang
Une très belle nouvelle qui développe tout un univers futuriste en arrière-plan tout en proposant une histoire à échelle humaine très touchante. En quelques lignes seulement, l’auteur parvient à créer un attachement, une empathie et de l’émotion. C’est un texte qui parle de deuil, un texte qui parle de ce qui constitue une famille aussi et qui éclaire notre rapport à l’autre. Et c’était magnifique.
[ps chinois.e]
Les cartographes
Nouvelle assez épatante et sans doute plus exigeante où il est question de souvenirs artificiels. C’est un texte intense et qui mérite tout à fait une seconde lecture pour mieux apprécier sa construction. Réflexions passionnantes sur l’oubli, l’importance du passé, même ses souffrances, et la quête vaine de bonheur. Passionnant !
[ps vegan.e]
Heartland
Attention à une très probable éco-anxiété à la lecture de cette nouvelle d’anticipation écologique. C’est un texte glaçant tant par son réalisme que par son sujet difficile. Une lecture qui remue et ne peut pas laisser indifférent, notamment son final qui saisit aux tripes. Là encore, on a une nouvelle avec le monde de demain en toile de fond d’une histoire de famille très humaine.
Extraits du dictionnaire autorisé du nouveau monde
Brèves de dictionnaires qui m’évoquent l’univers futuriste malsain de la série Trademark de Jean Baret. La nouvelle, composée de définitions, fait aussi lien avec Les cartographes du même recueil. Elle permet de dresser un micro-panorama d’un futur où la technologie contribue à l’isolement, où le sexisme est décomplexé et où les rapports humains ne sont que mercantiles, égoïstes et/ou agressifs. Terrifiant de réalisme n’est-ce pas ?
Moksha
Nous suivons cette fois une jeune âme en quête de l’illumination, dans un monde où le spirituel asiatique n’est pas toléré. La religion et la connexion a l’autre devient ici drogue tel l’opium. Une nouvelle intéressante et originale qui questionne encore avec brio la notion de bonheur.
Les enfants du nouveau monde
Cette nouvelle fait écho à la première du recueil en ce sens qu’elle aborde la question de deuil à travers l’attachement à des êtres faits de technologie. L’auteur imagine un programme de vue virtuelle extrêmement poussé mais sans omettre les dangers déjà existants des outils en ligne. Cela donne une nouvelle bouleversante qui ramène l’humain au cœur d’un monde virtuel. Superbe.
Ligne de pente
Une nouvelle un peu plus longue qui nous parle d’accomplissement et de besoin de reconnaissance sur fond d’effondrement climatique. Une histoire de skieur dans un monde où la neige n’est presque plus présente qui évoque les questions écologiques en parallèle avec la fin d’une époque dans une vie humaine.
Une brève histoire de la révolution qui a échoué
Cette nouvelle prend l’apparence d’un essai documentaire pour continuer à dresser le panorama de ce monde futuriste dans lequel l’auteur développe ses récits. Un texte plus froid, moins humain aussi du fait de son style de narration. Mais néanmoins intéressant. Il fait un peu office d’interlude comme les brèves de dictionnaire.
Migration
Sublime nouvelle qui nous parle d’une humanité qui s’est tant connectée qu’elle ne vit plus en-dehors des murs de son domicile. Un monde qui semble avoir perdu toute sa saveur face au virtuel, un monde où pourtant la beauté peut surgir là où elle a toujours été. Excellent texte avec un final magnifique qui rappelle l’humain et la nature au cœur des préoccupations. Coup de cœur sur l’émotion de cette fin de nouvelle.
La pyramide et le cul
Outre son titre assez surprenant, c’est une nouvelle intéressante qui explore un peu plus l’impact d’une connexion permanente sur les rapports humains tout en questionnant la question de la réincarnation. Le « terrorisme » se fait ici bouddhiste, en toute logique. C’est un récit qui questionne l’identité dans un monde d’éternel recommencement. Moins impactant cependant que le reste du recueil selon moi.
La nuit de la fusée
Nouvelle très courte et terrifiante qui relate une tradition bien étrange ayant lieu chaque année au sein d’une école (et, on l’imagine, au sein de toutes les écoles). Une sorte de sacrifice aux étoiles bien étrange rapporté du point de vue de cette masse anonyme qui valide l’acte. Terrifiant et très mystérieux, c’est un texte qui reste en tête pour le sentiment de malaise qu’il transmet et l’image qu’il m’a laissé de validation silencieuse d’un harcèlement de classe.
Ouverture
Coup de cœur sur cette nouvelle absolument superbe et d’une justesse remarquable en ce qui concerne les émotions. Un texte subtil qui remet encore l’humain au cœur d’un monde aseptisé par une technologie finalement très isolante. Le tout en nous parlant avec beaucoup de poésie de l’importance de l’expérience du vrai et de la beauté du monde. Tout en excluant absolument pas les mauvais côtés des relations humaines et de la douleur qu’elles peuvent engendrer. J’ai trouvé cette nouvelle vraiment très belle et très touchante.
Âge de glace
Plongée dans l’après effondrement climatique avec cette nouvelle qui transforme le monde en une toundra où les rares survivants de l’espèce humaine tentent de tenir bon malgré des conditions de vie extrêmes. Un monde où le miroitement de l’ancien monde peut encore faire sombrer l’Homme et où le besoin de faire plaisir aux personnes qu’on aime reste central. Très jolie conclusion.
« Au tout début, on parlait plus. Il y avait des émotions à gérer, des êtres aimés pour qui il fallait déployer une certaine compassion, mais au bout du compte, cela devient ennuyeux. On se remémore tous nos souvenirs, on raconte les mêmes histoires, on rit à moitié aux mêmes blagues réchauffées, puis on retombe dans le silence. La neige a cette façon à elle d'absorber les voix."
En bref, After Yang et autres histoires est un recueil de treize nouvelles passionnantes qui tantôt bouleverse, tantôt terrifie mais toujours interpelle. C’est un véritable coup de cœur tant pour les émotions vécues à la lecture que pour la justesse de l’écriture et la finesse des réflexions sur l’humanité, les rapports que nous entretenons avec les autres et les dérives de notre monde d’aujourd’hui et de demain. Une formidable découverte que je vous conseille vivement.
« Imaginez le futur...
Imaginez-vous vous connecter instantanément aux réseaux sociaux par le biais d’implants...
Imaginez acheter un androïde pour élever vos enfants... ou bien élever des enfants virtuels plus vrais que nature...
Imaginez pouvoir visiter à l’infini vos souvenirs ou vivre entièrement en ligne... ou imaginez lutter pour votre survie dans un monde désormais recouvert d’une épaisse couche de glace.
Bienvenue dans le monde de demain. Il est déjà là. »
(Design de couverture : A24)
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